
Résumé : À l’arrière d’un taxi collectif, Élise fuit vers le bidonville d’Ocean View. Elle laisse derrière elle le corps gisant de Jaco, sa dernière victime. Quelques mois plus tôt, alors directrice d’un vignoble en Afrique du Sud, Élise s’apprête à licencier le viticulteur qui a giflé un domestique. Le propriétaire du vignoble, un charlatan bordelais dont la fortune remonte à la traite négrière, l’en empêche. La domestique était insolente, justifie-t-il, et la gifle méritée. Une rage sourde envahit Élise. Ce même jour, elle reconnait épouvantée dans les traits d’un ami du propriétaire l’agresseur d’une étudiante, vingt ans plus tôt, sur le campus universitaire où vivait Élise. Pour la jeune femme, c’en est trop. Elle quitte tout, entre dans la clandestinité et prend les armes. Portée par une vengeance insensée qu’elle endosse au nom de toutes les femmes, elle se lance dans une chasse folle de Stellenbosch aux quais de la Garonne. Au juge qui la condamnera à la perpétuité pour meurtres et actes de barbarie, Élise répondra : « Il fallait bien que quelqu’un le fasse ».
Que quelqu’un le fasse ! est un roman écrit par Soline Lippe de Thoisy et publié chez les Éditions Ex Aequo dans la Collection Blanche en août 2022. Je tiens à remercier l’autrice qui m’a contacté et qui m’a fait confiance pour lire et parler de son roman.
Disclaimer : ce livre parle de ségrégation, de féminisme, de meurtre, de maltraitance enfin voilà gros tw attention à vos petits cœurs si vous êtes sensibles. Néanmoins, si vous êtes toujours chauds pour le lire, vous pouvez vous le procurer sur l’internet.
Un petit livre. 152 pages en tout et pour tout, qui pourtant ont percuté mon esprit. C’est l’histoire d’Élise, certes, cette directrice de vignoble en Afrique du Sud ; mais c’est aussi l’histoire de toutes ces femmes qui se sont faites violentées, physiquement, moralement ; c’est l’histoire d’un racisme ancré et encré, un roman communautaire qui fait mouche et qui s’inscrit dans une longue lignée de femme qui en ont fait un combat. Aujourd’hui, Soline Lippe de Thoisy nous conte les déboires d’une société blanche qui assoit sa « dominance » sur ses compatriotes de couleur, alors même que l’Apartheid a été aboli. Mais les vieux blancs ont la nostalgie de l’avant, et Élise ne le supporte plus.
Elle a tout supporté la vieille dans sa longue vie. Myriam qui dit toujours oui. Oui à Henri, à la femme blonde, aux enfants mal-élevés. Oui au contremaître. Oui à son homme qui lui écarte les jambes quand elle ne rêve plus que de dormir. Ce soir-là, de tout son dieu, de toutes ses sœurs, de tout son peuple, elle attend la vague.
(et toute la page 39, si j’avais pu je l’aurai écrite toute entière).
152 pages de rage et de désespoir, de sororité qui dépasse les ethnies et les coutumes ; Soline Lippe de Thoisy choisit la violence comme vengeance dans un univers où le masculin décide et s’emporte devant les yeux médusés d’une Élise qui n’y tient plus. Des scènes dignes de Germinal où l’on assassine et on mutile, pour bien rendre la chose aux offenseurs et aux oppresseurs. Qu’arrivera-t-il à l’homme qui considère la femme comme son objet jouet ? La vengeance est un plat qui se mange froid, mais Élise fait dégouliner le sang chaud de ses victimes, dont la situation s’inverse (de tyrans ils deviennent damnés).
Ce roman est bouffi de réalisme ; et il en devient effrayant car il peut faire écho dans le cœur de nombreuses femmes. Élise est un personnage d’une grande complexité, magnifiquement bien imaginé par l’autrice, et dont les actions ne feront pas l’unanimité ; néanmoins, et comme elle le dit si bien, « Il fallait bien que quelqu’un le fasse ». Elle ne tombe pas dans le cliché d’un monde dual où le mal est noir et le bien est blanc ; elle rend grise l’humanité et nous offre un point final parfait pour ce roman reportage. Elle garde tout de même une petite lueur d’espoir, à la faveur radoucie de deux hommes, qui, devant les déboires de leurs congénères, semblent être relativement décents. Humain.
« Tu t’envoles Élise, et moi je n’en peux plus de te retenir ». Elle devenait comme ces humanitaires qui parcourent l’Afrique tout pleins de supériorité. Ils vont sauver le monde, pensent-ils, gonflés de vanité, sans eux il s’écroulera.
Il pourrait paraître futile de parler de l’écriture de l’autrice devant un message aussi important que celui de son livre ; mais c’est justement la justesse de ses écrits qui fait que le lecteur se plonge dans cette lecture pour ne plus jamais en ressortir. Une écriture souple qui ne s’encombre pas de fioritures, et qui d’analepses en analepses nous tient en haleine. Merci Soline de mettre des mots sur la vie des femmes, quelque soit leur ethnie, merci pour ce préambule bouleversant, merci pour tout.
À lire ou pas ? Un roman sociologique fort qui dépasse notre continent et qui rend compte d’une perspective encore différente du féminisme. À lire absolument.
5/5 est ma note pour ce livre