
Résumé : Au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre sans envergure. Mais il a du génie entre les mains.
Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d’une famille prestigieuse, elle a passé son enfance à l’ombre d’un palais génois. Mais elle a trop d’ambition pour se résigner à la place qu’on lui assigne.
Ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer. Au premier regard, ils se reconnaissent et se jurent de ne jamais se quitter. Viola et Mimo ne peuvent ni vivre ensemble, ni rester longtemps loin de l’autre. Liés par une attraction indéfectible, ils traversent des années de fureur quand l’Italie bascule dans le fascisme. Mimo prend sa revanche sur le sort, mais à quoi bon la gloire s’il doit perdre Viola ?
Un roman plein de fougue et d’éclats, habité par la grâce et la beauté.
Veiller sur elle est un roman écrit par Jean-Baptiste Andréa, publié en août 2023 aux éditions l’Iconoclaste.
Écrire une chronique sur le Goncourt 2023, encensé comme écrasé par des milliers d’individus avant moi, c’est peut-être faire une preuve éhontée de la volonté de suivre la masse comme un mouton. Quelle nécessité à ajouter un avis quand tout le monde l’a donné, son avis ? Moi aussi je l’ai lu, ce bon dieu de livre. Alors un peu tard certes, je suis à la masse comme toujours quand il s’agit des découvertes pépites. Mais j’avais envie de vous parler de Mimo (ou Michelangelo, mais ne lui dîtes pas que j’ai écrit son prénom, il le déteste), de Viola, de leur relation inappropriée dans une Italie du 20ème siècle fasciste. J’ai envie de vous conter la sculpture, de vous conter les ailes d’un oiseau qui s’écrase, de jouer l’homme et le dinosaure, de dîner avec l’aristocratie italienne en me moquant de leur vanité.
Mimo Vitaliani est il francese quand il arrive en Italie, envoyé de France par sa mère pour « apprendre » la sculpture des pierres. Il est sans le sou, accueilli par un « oncle » bravache dont la seule chose positive dans sa vie est peut-être son taux d’alcool dans le sang. Il rencontre au gré de ses (més)aventures Viola, la fille Orsini, une famille italienne ayant fait fortune dans les oranges. L’histoire tourne donc autour de leur évolution, parfois commune, parfois à distance, deux aimés disgracieux qui devraient s’éviter, dont les mondes opposés se fracassent à chaque rencontre secrète, sur une tombe ou dans une vieille grange à l’abandon.
Il francese. J’ai toujours détesté ce surnom, même si l’on m’en a donné des biens pires. Toutes mes joies, tous mes drames sont d’Italie. Je viens d’une terre où la beauté est toujours aux abois. Qu’elle s’endorme cinq minutes, la laideur l’égorgera sans pitié. Les génies naissent ici comme de mauvaises herbes. On chante comme on tue, on dessine comme on trompe, on fait pisser les chiens sur les murs des églises. Ce n’est pas pour rien qu’un Italien, Mercalli, donna son nom à une échelle de destruction, celle de l’intensité des tremblements de terre. Une main démolit ce que l’autre a bâti, et l’émotion est la même.
Veiller sur elle ce n’est pas qu’une énième histoire d’amour entre le brave pauvre et la riche fillette, c’est une histoire de vie. Le rapport à l’autre est totalement fascinant pour le lecteur, et le contexte historique, bien que romancé, apporte une jolie touche de réalité. Mimo et Viola ne sont que des enfants du 20ème siècle qui se débatent avec leurs convictions, leurs envies, et quand l’âge adulte arrive, ils se complaisent peut-être dans un engrenage orchestré par le quotidien, alors même que les rêves de jeunesse s’éteignent un à un. J’ai apprécié le devoir de mémoire de ce passé antisémite et fasciste, quand notre actualité à nous tend à déborder vers un monde similaire.
Et puis, Jean-Baptiste Andréa aborde le handicap avec une telle finesse qu’on l’oublie tout le long du livre, sauf quand Mimo (ou bien le cirque) se rappelle à nous. Le personnage principal est atteint d’achrondoplasie, une maladie génétique rare qui amène à une formation anormale du cartilage de croissance. Ne lui dites pas qu’il est un nain, il abhorre tout ce qui lui rappelle sa petite taille. Mais la description qui est faite de lui n’est jamais grotesque, ce qui est tout à fait appréciable. Pour Viola, elle est féministe, foncièrement humaniste et pleine d’une vitalité rare. C’est un personnage complexe qui est extrêmement intéressant, même si au fil de l’histoire, sa flamme tend à s’éteindre, étouffée par le tissu rêche d’un mariage malheureux.
« Il marine dans la bêtise depuis qu’il est petit, avait-elle grommelé. Et avec l’âge, il s’est acidifié. Autrefois, c’était un concombre. Maintenant, c’est un cornichon. »
Le livre présente une temporalité alternée très pertinente qui conte à la fois la vie de Mimo et sa mort, dont la narration est aussi différente, avec un narrateur interne pour l’un et un narrateur omniscient pour l’autre. La narration est vraiment excellente, si bien que le livre, dont le sujet pourrait de prime abord ne pas intéresser, est un page turner d’une qualité certaine. Il est dense en émotion, en information, et il restera ancré dans les esprits un certain bout de temps.
À lire ou pas ? Absolument. Certainement. Obligatoirement. Cela faisait un certain temps que je n’avais pas eu de coup de cœur, mais assurément, Veiller sur elle est le plus gros de cette année 2024. Un livre à proposer aux plus jeunes (au lycée en lecture conseillée) et aux plus vieux, à lire de toute urgence.
5/5 est ma note pour ce livre.
Et voilà, cette chronique est dès à présent terminée, j’espère qu’elle vous aura plu ! Un livre très difficile à chronique que Veiller sur elle, surtout quand on a la patte un peu rouillée comme moi aha. Enfin, si jamais vous voulez discuter avec moi de ce livre, n’hésitez pas à me laisser un petit commentaire. Et surtout,
Bouquinement vôtre, Jade