
Résumé : Le narrateur est un jeune type, pas bien ambitieux, plutôt lent, tranquille. Il traîne après ses études, le temps passe, la trentaine arrive quand enfin il décroche un boulot dans un laboratoire privé. De fait, il n’a pratiquement rien à faire, juste réceptionner les arrivages quotidiens. Au tout début il est gêné, jusqu’à ce qu’il découvre que personne ne fait rien ici, si ce n’est feindre d’être occupé. Un jour, il trouve un placard fermé par un cadenas à combinaison. Par pur désœuvrement, méthodiquement, il essaye de l’ouvrir. Et lorsqu’il y parvient soudain, il tombe sur des dossiers fascinants. Des gens consultent un certain Dr Kwon, du laboratoire. Mais les « maladies » de ces patients sont tout sauf habituelles. L’un a un gingko qui pousse au bout du doigt, un autre fait des sauts abrupts dans le temps, une femme devient plusieurs personnes à la fois. Et ces dossiers semblent intéresser un étrange société secrète, prête à tout pour les récupérer.
Le Placard est un roman inclassable (thriller, polar noir, vous en faites ce que vous voulez) écrit par Kim Un-Su en 2006. Il s’agit de son tout premier roman. L’édition que j’ai eu la chance de lire grâce à un cadeau de Monsieur Chat est la traduction française par Pierre Bisiou et Choi Kyungran aux éditions Matin Calme (qu’on embrasse très très fort car ils ont dû fermer…).
Disclaimer : « blablabla la Corée du Sud c’est à la mode tu lis ça pour faire partie des fashions du livre », que nenni, la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe. J’ai lu ce livre parce que j’en avais bien envie (et de toute façon c’était un cadeau donc c’est obligatoire) et puis c’est tout. Et donc, comme d’habitude, pour vous faire votre propre avis, il s’agira de vous procurer le LIVRE. Sur l’internet. Où vous voulez. C’est vous qui voyez.
OLNI. Pour Objet Littéraire Non Identifié. Je n’utilise pas souvent cette étiquette, je crois bien que c’est la troisième fois que je me permets d’identifier un livre par cet acronyme (j’ai en tête 77 assassins de Henri Duboc, et le Démon de la Colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie). Parce que ce livre, il est tout bonnement invraisemblable. Il commence piano avec l’histoire d’un narrateur, dont je n’ai pas retenu le nom. Mais en y réfléchissant bien, est-ce qu’on l’y mentionne même ? C’est un garçon ordinaire, un monsieur tout le monde. Pas le moindre gingko au bout du doigt. Il se souvient de toutes ses années de vie, sans gap de quelques mois. Et comme il s’ennuie au travail, il décide d’essayer une à une les 9999 combinaisons du cadenas du placard numéro 13. C’est marrant ça, que le placard soit le numéro 13. Parce que le numéro 13, il est associé à la malchance voyez-vous. Je ne sais pas si en Corée du Sud c’est pareil, enfin peu importe, parce que mon interprétation de ce placard, c’est qu’effectivement, l’avoir ouvert, c’est peut-être un mal pour un bien. Ou surtout un bien pour un gros mal. Passons.
« Chaque fois que j’ouvre le Placard je vois ce texte. Chaque fois que je le lis, mon cœur s’enflamme. Et de ma bouche, s’échappe quelque chose comme : « Tu parles, l’obscurité de notre monde ? ». Je n’arrive même pas à éclaircir l’obscurité gisant dans ma jeunesse, putain. »
Alors donc notre narrateur il fouille, il fouille, il lit des trucs tangibles, moins tangibles, sur des personnes étonnantes qu’il appelle les « symptomatiques ». Des chimères, des voyageurs du temps, des magiciens, des ginkgos, des cures-dents… Et il en devient le gardien, le secrétaire, le confident, lui l’homme ordinaire sans aucun diplôme de sciences, de thérapeute, il le dit lui-même, il est littéraire comme garçon. Chacun des chapitres nous racontent les tranches de vie de ces « symptomatiques, le narrateur nous lit le placard, il déroule les feuilles de ces histoires devant nos mirettes étonnées, il développe, à peine empathe, des sentiments contradictoires et curieux sur toutes ces personnes qu’il se donne finalement la peine de rencontrer.
J’avais adoré Sang Chaud, qui était le livre m’ayant fait découvrir Kim Un-Su, et je suis ravie de le voir dans un genre différent, moins classique, où la délicate narration se mêle aux horreurs cauchemardesques, le tout dans un mélange étonnant (mais parfaitement réussi). Notre « homme tout banal » nous conte finalement ces tranches de vie brutes mais pas brutales, sans s’embarrasser d’un trop plein de dialogue. C’est ça qui est étonnant dans ce livre, c’est cette capacité à faire tourner la page, à vouloir découvrir la fin de la « consultation » du symptomatique, alors même que le rythme n’est pas électrisant, on ne saute pas d’un paragraphe à l’autre, on découvre, on décrit, pas de cri, pas de tiret à la volée, sans pour autant être une tirade alambiquée (comme celle-ci).
« Si une nouvelle vie vous étiez donnée,
Voudriez-vous naître homme ou femme ? »
« Je ne veux pas renaître,
Dans ce monde de dichotomie si violente. »
Et là vous me dites, elle est marrante elle fait de la poésie, pourquoi le polar, pourquoi le thriller, quels en sont les éléments ? C’est petit à petit, c’est de l’émiettage, c’est une carte de visite à la dérobée, une visite à l’hôpital… Et puis le grand retournement de situation, la torture psychologique, physique, la disparition, la transformation. Même l’exécuteur est intéressant, il s’intéresse au travail bien fait dans de bonnes conditions. Frissonnante comme fin. À en perdre la tête.
Alors si j’étais une symptomatique, je serais une sauteuse de temps. Il paraît que j’ai 8% de le devenir. Ou alors, j’écouterai le magicien et méditerai pour devenir un chat. C’est pas plus mal, de vivre en chat.
La morale de cette histoire, c’est que, comme quoi, mieux vaut ne pas ouvrir les placards à cadenas.
À lire ou pas ? Aussi fou que ce livre soit-il, il s’agit bien entendu d’un banger (ah oui on est tout de suite moins littéraire dans le À lire ou pas) génialissime qui mérite qu’on le lise.
5/5 est ma note pour ce livre, on part sur un coup de cœur (le premier de l’année comme quoi).
Et voilà, cette chronique est dès à présent terminée, j’espère qu’elle vous aura plu ! Vraiment quel livre intéressant et intrigant ce Placard ! Note plus maussade, la maison d’édition Matin Calme n’existe plus, c’est vraiment trop triste parce que leurs livres étaient topissimes (et les traductions impec’). Vous en aviez déjà lu, des livres de chez eux ? Et vous connaissiez Kim Un-Su ? N’hésitez pas à me laisser un commentaire que nous en discutions, et surtout…
Bouquinement vôtre, Jade